GUY CABAY
À propos de Guy Cabay
Note de pochette de Louis Philippe
C’est la pesanteur qui nous tue. C’est peut-être ça, le sens de la Chute d’Adam. Nous sommes condamnés à être la pomme de Newton, pas le ballon emporté par le vent. Mais il arrive pourtant que, par la grâce de la musique en particulier, nous échappions à la gravité, que le temps échappe au temps, qu’un autre souffle gonfle nos poumons, tellement plus léger que celui qui nous asphyxie d’ordinaire.
On ne prend pas la musique légère au sérieux, et c’est tant mieux. Seule la musique sérieuse mérite qu’on la traite aussi mal. Celle de Guy Cabay, elle, ruisselle d’une source plus pure et nous parle d’une voix plus tendre. On peut évidemment la décrire comme on étiquette les produits d’exportation. Origine: Belgique. Ingrédients: jazz, bossa nova, tropicalisme, chanson – les proportions peuvent varier. Valeur calorifique: néant. Produit non périssable. Mais ceci en dirait autant sur ce que cette musique est vraiment que si, voulant évoquer ce qu’inspire le bleu embrouillardé d’un ciel normand, on relevait les variations du pourcentage d’humidité dans l’atmosphère à Etretat et faisait un savant exposé sur les lois de la réfraction.
Guy Cabay est bien passé par le Brésil et y habite encore un peu, un Brésil qui n’est pas celui des cartographes ou des agences de voyage, un Brésil qui est aussi réel que le Far West dans lequel vivaient les enfants lecteurs de Fenimore Cooper, aussi flou et limpide qu’un rêve. Ce n’est pas l’Amazone qui coule dans ce Brésil-là, mais l’Ourthe, affluent de la Meuse, ce qui le rend plus familier, plus étrange et encore plus poétique. Se laisser baigner dans ce bonheur mélancolique, se laisser porter par ce fleuve est doux, doux comme les consonnes fluides de la langue wallone, ce ‘d’ qui devient ‘dj’ dans sa bouche, comme en Portuguais, d’ailleurs.
Savoir faire naître des mélodies qui tiennent sur une note comme la samba de Jobim, comme un fildefériste au-dessus d’une cascade d’accords, ce n’est pas donné à tout le monde. C’est un don. Savoir en denteller d’autres sur des dizaines de points, comme sur Tot a-fet rote cou d’zeur cou d’zos, poignante rencontre entre Randy Newman et Robert Wyatt, c’en est un autre. Ce ne sont pas les seuls que les fées offrirent à Guy Cabay et que, par un presque miracle, il nous offre à nouveau aujourd’hui. Haut les coeurs.
Louis Philippe
Note de pochette de Bertrand Burgalat
« Cher Monsieur,
De passage en Belgique pour une émission de télévision qui n’a pas eu lieu à cause des grèves, Claude PUTERFLAM, artiste et producteur de la maison WEA FILIPACCHI, et avec qui nous sommes en accord au niveau de l’édition, a rapporté un disque 30 cm intitulé “TOT-A-FET ROTE COU-D’ZEUR COU-D’ZOS“ qu’il nous a fait écouter à son retour.
Nous sommes unanimes pour dire qu’il y a très certainement une grande originalité et un talent certain pour mettre des rythmes sud-américains sur des textes en Flamand (sic), et ce mariage crée une certaine magie qu’il faudrait exploiter plus en profondeur.
Peut-être pourriez-vous nous contacter à Paris, afin que nous nous rencontrions lors d’un de vos passages en France. peut-être trouverons-nous un accord pour travailler tous ensemble, Claude Puterflam, vous et moi.
Soyez gentil de nous donner de vos nouvelles, et de nous faire savoir quand vous comptez venir en France, mais peut-être pourriez-vous nous téléphoner.
Nous vous en remercions par avance, et vous prions de croire,
Cher monsieur, en notre sincère amitié. »
Ainsi écrivait Christian de Ronseray, directeur des éditions You You Music, le 6 Novembre 1978. Il a existé, dans cette industrie, des personnes qui parlaient ainsi de musique et s’attachaient à la faire aimer. Mais il existait déjà aussi quelques tristes sires qui faisaient n’importe quoi. Après avoir publié ces chansons à compte d’auteur avec la collaboration de son cousin Michel Dickensheid, qui les avait enregistrées dans son studio et commercialisées sur sa propre marque MD, Guy Cabay signa une licence avec un directeur artistique de RCA. Celui-ci ne les sortit pas, et ne rendit jamais les bandes.
Elles continuaient de charmer ceux qui avaient eu la chance de les entendre.
Au Japon, le label Vivid Sound avait publié un CD en 2012, mais il fallait toujours aller sur YouTube pour trouver quelques extraits.
Ce disque, ainsi que la réédition numérique des deux albums, est destiné à réparer cette injustice. Vive Guy Cabay.
Bertrand Burgalat
Le wallon liégeois : portrait express, par Guy Cabay
Le wallon n’est pas l’unique dialecte en Belgique romane.
On y trouve aussi le picard dans le Hainaut et le lorrain dans le sud du Luxembourg. La langue des chansons de ce disque est celle du pays de Liège. Malheureusement, elle s’est éteinte progressivement au cours du XXe siècle. Aujourd’hui, très peu de locuteurs la comprennent encore. Et pourtant, elle a ses dictionnaires, son art de conjuguer, sa littérature, ses chansons, ses opéras… (les premiers textes retrouvés datent des environs de 1600). Elle arbore fièrement sa voyelle a surmonté d’un rond en chef å (prononcez hall). Elle adore les liaisons et les élisions : bref, il faut que ça groove.
Enfin, avec ses sons dji et tch, déclinez-la sur la bossa ! Vous changerez tout à coup d’horizon… « Mais v’là-t’y pas qu’ je comprends le portugais, mi asteûre », s’écria alors la vieille liégeoise en écoutant à la radio.
Guy